Rwanda Criminal Defense Manual - Client Interview/fr

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Entretiens avec le client (Mauvais traitements)

Qu’il s’agisse de préparer la défense au fond de son client ou de soulever (et donc prouver) une irrégularité de procédure certaines questions fondamentales sont à poser. Si nous le faisons tous, il est évident qu’avec le temps et l’expérience, la multiplication des dossiers et des visites en détention on finit parfois par en oublier certaines.

D’où l’utilité d’un petit mémo

Mémo:

  • Date et heure précises de l’arrestation
  • Conditions de l’arrestation : Nombre de personnes, rôle de chacun, éventuellement noms et qualité,
  • Paroles échangées, droits évoqués, placement en GAV, connaissance de l’infraction
  • Langue utilisée, compréhension, visites
  • Conditions de traitement après l’arrestation / Conditions de la GAV : Médecin, avocat, interprète, interrogatoires, repos, nourriture, famille.
  • Suivi judiciaire : Transferts palais, comparutions, notifications, droit à l’avocat

Ce mémo sert pour tout type de défense. Toutefois, une des conséquences particulières de ce genre d’entretien va être de se retrouver confronté à une personne victime de torture ou de mauvais traitements.

Torture et mauvais traitements en droit

Même s’il existe une différence juridique claire (notamment dans les textes internationaux) entre la torture et le mauvais traitement, celle-ci est inopérante pour le défenseur au quotidien.

En effet, que des coups, des sévices ou des pressions insupportables soient portés au suspect pour obtenir des aveux ou sans raison particulière (à seule fin de le rendre malléable ou de le punir par exemple, voire même par plaisir) ne fait aucune différence.

Le monopole de la violence légitime de l’Etat que celui-ci délègue aux forces de police a une limite très claire.

Pour être pragmatique et volontairement réducteur, on peut l’exprimer ainsi en tant qu’avocat pénaliste:

Seule la force strictement nécessaire à l’interpellation d’une personne ou à son maintien à disposition de la police est légitime.

Toute autre atteinte à la personne, physique (gifle, coups divers, tirages, privations, sévices, détention sans titre ni fondement, etc …..) ou morale (menaces, pressions directes ou sur l’entourage, privation de contact) est un acte illégal quelque soit la définition qu’on lui donne.

La personne humaine et son intégrité sont INVIOLABLES.

La Constitution du Rwanda le garantit : Article 10 : La personne humaine est sacrée et inviolable. L’Etat et tous les pouvoirs publics ont l’obligation absolue de la respecter, de la protéger et de la défendre.

Le Code de Procédure Pénale le garantit par le mécanisme de contrôle de la police judiciaire.

Le code pénal le garantit en qualifiant infractionnellement ces faits.


Dés lors, l’avocat utilisera indistinctement tous ces textes qu’il ait affaire à de la torture ou des mauvais traitements. Il s’indignera de TOUTE atteinte à personne humaine.

Pour mémoire :

On appelle torture l'activité consistant à produire une souffrance insupportable et parfois longue, psychologique ou physique, en évitant ou du moins en retardant la mort. Elle peut produire des séquelles physiques (ex: mutilations), ou psychologiques (ex: traumatismes).

Le tortionnaire tient sa victime à sa merci, elle ne peut pas s'échapper. Les objectifs et les motivations du tortionnaire peuvent être divers

  • révélation d'informations secrètes, obtention d'aveux ;
  • châtiment de fautes réelles ou imaginaires ;
  • terroriser des populations ou des organisations politiques, en ciblant des membres d'un groupe de personnes particulier, afin que les autres restent passifs de peur d'être victimes à leur tour ;
  • plaisir sadique ;
  • préparation psychologique, visant à convaincre la victime qu'elle est faible en vue d'obtenir sa complète soumission ;
  • Suivisme ordinaire du tortionnaire qui ne fait (selon lui) que suivre les ordres ou les procédures ;

La torture est interdite par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention de Genève) (adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre1984 et entrée en vigueur le 26 juin 1987) et la troisième Convention de Genève. Toutefois, la torture est encore pratiquée de par le monde, souvent sous couvert soit d'une définition imprécise dans la loi, soit de législations locales floues.

Par ailleurs, nous ferons ici l’économie de citer tous les textes émis par les agences des Nations Unies et par toutes les ONG sur le thème de la torture et du mauvais traitement.

Le fait est que l’avocat est confronté quotidiennement à des personnes détenues victimes de mauvais traitements.

Face à la victime, préparer l’audience

Face à cela, l’expérience m’a prouvé, notamment au Moyen-Orient dans les multiples petits Guantanamos instaurés par les Américains sur le territoire de leurs alliés (Pakistan, Jordanie, Arabie Saoudite, Irak) où la torture est quasi-systématique dans le care de la lutte contre le terrorisme, que l’on a deux attitudes marquées de la part des victimes.

Soit elles sont murées dans un silence qui traduit à lui seul la profondeur du traumatisme, soit elles sont extrêmement volubiles sur ce qui leur est arrivé. Il s’agit là de deux catégories quelque peu schématiques dans la mesure où l’on retrouve également des comportements empruntant aux deux attitudes.

En tout état de cause, la démarche de l’avocat défenseur doit être totalement méthodique et ne jamais perdre de vue la finalité des entretiens.

Il faut instruire le cas et interroger la personne pour pouvoir construire une défense efficace.

Cela implique de mettre de coté tout ressenti personnel ce qui est délicat. Il ne faut pas non plus tomber dans la curiosité, cela nuit à l’efficacité.

On va donc procéder par ordre :

  • Face à une personne silencieuse dont il parait évident qu’elle a été maltraitée :
  • Ne pas perdre de vue que l’on doit l’amener à parler et résister à la tentation de parler à sa place.
  • Une bonne méthode consiste à lui faire raconter l’histoire de son interpellation depuis le début en demandant au fur et à mesure de nombreux détails (couleur et marque de la voiture de police, météo de la journée, habillement des gens, etc….) qui paraissent insignifiants. Souvent, une fois que l’habitude de donner des détails est prise on parle plus facilement des violences.
  • Ne jamais finir ou compléter les phrases de la personne. Les silences, même s’ils se prolongent, peuvent lui servir à franchir le pas.
  • Se souvenir que notre échelle de gravité n’est pas nécessairement la sienne et donc être en permanence à l’écoute .
  • Une fois qu’elle a démarré, ne pas l’interrompre, attendre qu’elle s’arrête d’elle-même.
  • Dans la mesure du possible essayer de faire raconter (purger) les mauvais traitements physiques avant d’en venir aux pressions et à la torture morale.
  • Faire avec la personne l’inventaire des marques qu’elle porte et que vous pouvez voir. Demandez lui s’il y a eu des témoins (lors de l’arrestation notamment la famille ou dans les autres cellules), la description et du nom éventuel des auteurs (ils s’appellent souvent par leurs prénoms ou surnoms durant les interrogatoires musclés).

Face à une personne volubile qui porte des traces et est révoltée :

  • Il est fondamental de laisser une première phase de purge où elle a besoin de « vider son sac ». En profiter pour saisir au vol des éléments qui vont orienter ensuite la conversation plus précise que vous allez mener.
  • Elles ont parfois tendance à exagérer mais pas toujours.
  • Expliquez lui comment vous comptez utiliser les détails pour sa défense (nullité, défense au fond, poursuite des auteurs,…)
  • Faites lui faire des listes précises de gens, de coups, de tenues pour réguler le flux.
  • Il est souvent préférable de les faire parler en premier de la torture morale.
  • Faites des pauses dans son récit en prenant la parole pour lui expliquer par exemple les textes qui répriment la torture.
  • Si le flot est ininterrompu changez pour un temps de sujet et parlez lui de ses proches, c’est généralement efficace pour les ramener à la réalité. Vous reviendrez ensuite sur les violences.
  • Faites le tour de ses blessures seulement à la fin.
  • Faites l’inventaire des lieux, des noms et des témoins comme ci-dessus.


Dans les deux cas évoqués ci-dessus, il faut qu’à la fin de l’interrogatoire vous ayez des éléments :

  1. Sur les circonstances de lieu et de temps
  2. Sur toutes les personnes présentes (qu’elles aient ou non participé).
  3. Sur le rôle exact de chacun et notamment la nature et le nombre de coups
  4. Sur toutes les pressions et menaces constituant une torture morale
  5. Sur toutes les marques que vous avez personnellement vues
  6. Sur d’éventuels témoins (passants, co-détenus)

Il reste alors à requérir un médecin (expertise mais aussi parfois soins nécessaires), à retrouver les éventuels témoins pour les faire entendre ou citer, et à préparer la riposte.

Celle-ci peut prendre trois formes :

  1. Soit une action en nullité de la procédure ou d’une partie de celle-ci (interpellation, interrogatoires, garde à vue, etc …)
  2. Soit une défense au fond consistant à rejeter les déclarations ou les constatations au vu des conditions de violence et de mauvais traitement.
  3. Soit une action contre les auteurs qui peut être disciplinaire (à travers le Parquet) soit pénale et civile à travers une plainte. Les trois actions sont possibles simultanément, de même qu’elles peuvent s’ajouter aux défenses ci-dessus.

Dans tous les cas, il faut avoir un dossier CONCRET avant de se lancer. La charge de la preuve pèse sur la défense pour une fois et elle est, par hypothèse, délicate.


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